Le jeu vidéo peut-il être écologique ?

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Vous l’avez tous déjà vue, elle est présente sur tous les produits électroménagers. Si visible que sa présence est devenue banale. Elle, c’est l’étiquette énergie ! Celle qui indique si votre produit est gourmand en consommation électrique ou au contraire plutôt économe, et donc l’impact écologique qui en découle. Si l’on peut parfois douter de l’honnêteté de la manœuvre (aucun produit n’est noté F, il n’est là que pour remonter la valeur des notes qui précèdent), on ne peut nier son impact sur le choix d’une bonne partie des consommateurs. Que ces derniers soient guidés par leur conscience écologique ou par la volonté de faire baisser leur facture d’électricité, le résultat reste le même : l’affichage environnemental compte.

Aujourd’hui, alors que le jeu vidéo est devenu un loisir majeur, la question se pose : peut-on adapter ce système au numérique et au vidéoludique ? Et surtout, comment ? Microsoft a ouvert le bal en commençant par se fixer l’objectif audacieux d’être une entreprise au bilan carbone neutre d’ici 2030, mais aussi en créant son kit de durabilité Xbox qui fournit aux créateurs de jeux des outils pour mesurer et optimiser leur consommation énergétique. Un bon début, mais une goutte d’eau dans l’océan de la pollution due au numérique.

Jeu vidéo côté pro : les tendances et projets du secteur. Cet article fait partie du programme lancé par Xboxygen qui consiste à passer de l’autre côté du rideau afin de découvrir certains des enjeux professionnels autour de notre média favori. Des dossiers créés suite à nos visites et interviews au forum Horizon(s), qui s’adresse pendant deux jours aux cadres et aux dirigeants du secteur du jeu vidéo. Vous pouvez retrouver tous les articles associés dans la rubrique dédiée aux métiers du jeu vidéo.

Créer une méthode d’évaluation

Si la plupart de nos produits de consommation courants impliquent déjà de nombreux acteurs (et donc de choses à prendre en compte dans le calcul de leur bilan carbone), le jeu vidéo rend l’évaluation de son impact encore plus complexe. Car si mon jeu est développé et conçu au Japon pour être vendu dans ce même pays, son bilan ne sera pas le même que s’il est expédié en Europe. De même, s’il s’agit d’un jeu PC, il convient de prendre en compte la consommation de la machine sur laquelle il va tourner. Créer une méthode de calcul neutre est donc indispensable. Pierre Forest, fondateur de Metaboli, devenu aujourd’hui Gamesplanet, participe depuis 2019 à l’élaboration de systèmes visant à réduire l’impact environnemental du jeu vidéo. Pour lui, dans le cas des jeux PC, les premières pistes sont à chercher du côté de la configuration minimale demandée par un titre. Partant de là, il sélectionne trois critères qui permettent d’établir une méthode de calcul : la taille du jeu, la machine sur laquelle le jeu va être distribué et la consommation de cette dernière.

On est encore loin d’avoir de l’énergie propre partout dans le monde

Aujourd’hui, les données liées à un jeu sont facilement accessibles, c’est avec celles-ci qu’il va être possible d’établir un bilan carbone de la conception et de l’utilisation du jeu, mais aussi de calculer son impact environnemental plus général (utilisation d’eau, de métaux rares…). Bien sûr, la méthode n’est pas parfaite, mais elle permet de poser des bases. Ensuite, il faut transcrire ces données et les résultats qu’on en tire de manière lisible pour le grand public, en utilisant des méthodes d’analyses scientifiques qui ne soient pas biaisées ou orientées. Par exemple, dans le cadre de productions se fournissant à plusieurs endroits, ne pas prendre celui qui a le bilan le plus faible pour fausser les résultats. Cela implique donc une commission d’évaluation externe et neutre ainsi que, nous l’avons vu, la prise en compte de la création du support physique en plus du numérique.

Un système qui doit évoluer

En France, c’est l’Ademe (dont le budget va malheureusement être réduit en 2025 au profit d’industries polluantes, ironie !) qui s’occupe de certifier ce genre de système. Bien sûr, pour fonctionner, la méthode de calcul demande d’être constamment réévaluée et adaptée à chaque marché. Mettre une étiquette sur un jeu en magasin permet de montrer le coût de sa production, mais pas celui de son utilisation. Car le joueur va-t-il y jouer cinq heures ou cinq-cents ? Joue-t-il dans un pays où l’électricité est obtenue de manière très polluante ? Sur quel type d’écran ? Le calcul de « l’eco-gaming » n’apporte donc pas encore toutes les réponses, mais le travail est en cours, notamment du côté des constructeurs. Car savoir qu’une machine dernier cri consomme autant qu’un frigo qui tourne en permanence toute l’année peut influencer les choix des joueurs. Même un jeu en pixel art n’aura pas le même résultat sur la facture d’électricité en fonction du PC ou de la console sur lesquels il est joué. Des informations qui sont encore très peu fournies aux clients et qui doivent donc être mises en avant par les entreprises qui fabriquent les supports de jeux.

Eco-concevoir un jeu c’est aussi proposer un titre avec moins de bugs, mieux optimisé et donc plus agréable pour le joueur.

Un jeu n’a également pas la même consommation selon que son joueur est face à une scène de gameplay dans un décor riche avec plus d’une trentaine de personnages à l’écran ou dans ses menus. Il faut donc établir la consommation électrique de la machine sur laquelle tourne le jeu, mais aussi établir des statistiques sur les habitudes des joueurs qui peuvent permettre de les renseigner sur leur propre consommation. Des chiffres faciles à obtenir dans un monde ultraconnecté comme le nôtre, où notre temps de jeu et notre manière de jouer sont constamment analysés et décortiqués par nos consoles en tâche de fond.

Concevoir un système pour les jeux et pour les machines

Il faut donc imaginer une double notation : celle qui sera sur le jeu, et qui impliquera les coûts de son développement et de sa création, et celle qui se trouvera sur la machine. Entre les deux se trouve la zone grise des mises à jour, de la façon dont le joueur utilise son produit et de l’endroit où il vit. Si aucune méthode parfaite ne peut encore être proposée, l’histoire nous prouve que ce genre de système est vertueux, puisqu’il crée une prise de conscience, suivie d’une responsabilisation de la consommation et donc d’une adaptation du marché (démontré par des exemples tels que le nutriscore ou l’étiquette énergétique, avec les avantages et les inconvénients qu’on leur connaît). La mesure est loin d’être anecdotique, elle s’inscrit au contraire dans une volonté généralisée de décarboner le secteur (qu’elle soit motivée par des intérêts sincères ou commerciaux). Ainsi, dès 2025, le CNC n’accordera plus ses aides qu’en fonction des résultats de mesure de l’impact des projets qui lui sont soumis. Actuellement, la directive du CSRD impose déjà aux entreprises de publier des informations sur leur impact environnemental, social et de gouvernance, mais sans que ces derniers n’aient de conséquences sur les subventions accordées.

Si l’on pose des panneaux solaires sur tous les toits et des poubelles de tri dans chaque bureau sans repenser notre manière de consommer, ça ne servira à rien.

Mais l’évolution de la consommation et des pratiques n’ira pas sans une rationalisation du marché. Aujourd’hui, et comme dans de nombreux autres secteurs du loisir et de la culture, le jeu vidéo produit trop et en trop grandes quantités, d’autant que beaucoup de titres ne trouvent jamais leur public ou sont abandonnés en cours de route. Un modèle qui ne peut pas fonctionner indéfiniment. Le tout est de savoir s’il va évoluer de force ou anticiper les défis à venir et changer de lui-même.

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