Test - Itorah - La vengeance de l’abomination sans plumes

«Faites que le rêve dévore votre vie afin que la vie ne dévore pas votre rêve.» , - 0 réaction(s)

Lancé le 21 mars 2022 sur Steam, Itorah est l’unique projet du studio allemand Grimbart Tales créé en 2018. Récompensé le 8 décembre de la même année par la distinction de Best Audio Design et nominé pour le titre du Best Indie Game au German Developer Awards, le jeu termine son aventure en arrivant enfin sur nos consoles de salon, nous offrant ainsi son chant du cygne. En effet, c’est non sans une certaine tristesse que le 8 février dernier nous apprenions la dissolution du studio via les réseaux sociaux. Itorah est donc son œuvre unique, dont les références assumées sont aussi éclectiques que The Legend of Zelda, Secret of Mana ou les films du studio Ghibli. Il permet ainsi à Grimbart, le blaireau fumeur de pipe, mascotte bourrue et inflexible du studio, de nous régaler d’un metroidvania à la direction artistique impressionnante, aux inspirations méso-américaines chatoyantes, pour un prix de 19,99 € sur le Xbox Store, soit beaucoup moins qu’un aller simple pour ces terres lointaines peuplées de légendes (ou d’une richesse soudaine qui se conquerrait au détour d’un chemin de la Cordillère des Andes).

Père Grimbart, raconte-nous une histoire !

Notre héroïne était en train de piquer un somme sur une imposante statue au milieu de la forêt lorsqu’elle est réveillée par une voix mystérieuse accompagnée d’une boule de lumière. Intriguée, elle la suit jusqu’à une grotte sombre peuplée d’araignées vindicatives. Sa course effrénée pour leur échapper s’arrête bien entendu prématurément et elle reprend ses esprits entoilée au plafond aux côtés d’un personnage emprisonné comme elle dans un cocon. Après quelques contorsions, elle parvient à s’échapper et libère ce vénérable barbu qui s’avère être une hache (ou une masse, on ne sait pas trop) parlante qui lui indique le lieu de leur détention : la cité d’Aracan. Quelques pas plus loin, la découverte d’un feu de camp faisant office de point de sauvegarde marque le premier jalon de l’aventure.

L’aventure commence

Après une rapide exploration du niveau et l’ouverture de deux portes en pierre marquées d’un scarabée à l’aide d’orbes de couleur, nous combattons un premier mini-boss, guerrier en armure armé d’une lame pour le moins imposante. Pas d’inquiétude cependant, ce dernier étant particulièrement lent et prévisible, le vaincre n’est qu’une simple formalité. À la grande surprise de notre compagnon, nous aspirons la force vitale corrompue de notre adversaire et débloquons ainsi un premier pouvoir de soin fort pratique.

Quelques couloirs plus loin, une fois le second boss abattu, arachnoïde cette fois, nous faisons enfin surface avec l’aide d’Ahui, une archéologue fort poilue (et un peu sourde malgré ses grandes oreilles) aux méthodes explosives et découvrons le monde de Nahucan ainsi que l’arbre immense qui trône en son milieu. Celle-ci nous informe que nous sommes sans doute la dernière représentante de la race humaine, disparue il y a fort longtemps et nous invite à la suivre au village de Chimali.

Conciliabule à Chimali

Cette destination champêtre nous permet de faire rapidement connaissance avec la dizaine de villageois présents, dont le maire qui n’est autre que le frère de notre impétueuse chercheuse. Deux boutiques proposent de nous échanger plumes et gemmes trouvés dans des coffres (ainsi qu’un petit bonus sous forme de gemmes violettes récupérées sur les ennemis vaincus) contre des améliorations permanentes de notre vie, endurance et capacités de soin.

Itorah et le temple de R’lyeh

Après avoir convaincu le conseil des sages du village de poursuivre notre exploration, Ahui nous guide vers un vieux sanctuaire non loin de là, l’occasion pour nous de traverser une zone plus humide et de récupérer une nouvelle capacité avant d’arriver à destination.

Sunset sans l’Overdrive

L’approche du lieu interdit s’accompagne d’un magnifique coucher de soleil transformant notre avancée en ombres chinoises sublimées par un chant particulièrement envoûtant. L’exploration pour le moins “indianajonesque” de ces sombres corridors n’est pas sans danger, une brochette de pièges traditionnels ralentissant notre progression au même titre que plusieurs ennemis judicieusement placés.

Plus nous nous enfonçons dans les profondeurs de ce sinistre mausolée, plus l’ambiance devient pesante et glauque. La descente interminable aux tréfonds de ce lieu oublié des dieux est perturbée par l’apparition de blobs purulents aux yeux multiples et à la couleur pourpre sombre fort peu engageante. Ce n’est pas vraiment une surprise lorsque nous débarquons finalement dans une salle tout au fond de ce puits démoniaque, abritant comme par hasard une horreur cosmique qui n’aurait jamais dû voir la lumière du jour. S’ensuit une échappée dans les ténèbres tendance parkour millimétré pour le moins épique, poursuivis par la créature boursouflée que ne renierait pas Phobia Game Studios. Une fois de retour à la surface et ce temple maudit définitivement scellé par les bons soins d’Ahui, nous décidons d’aller demander conseil et assistance aux différents esprits protecteurs du monde de Nahucan. L’aventure nous tend les bras !

Gros visqueux dégueulasse !

Enfant du Soleil, tu parcours la terre, le ciel

Visuellement, Itorah est une réussite. Les différents environnements, bien que classiques, sont superbement retranscrits et animés avec un sens du détail qui transpire l’amour du travail bien fait. De plus, nous observons de nombreuses variations au sein de ces derniers, tant du point de vue des éléments que de l’éclairage qui prend ici une place importante. Nous retrouvons ainsi toute une brochette de niveaux classiques (sylvestre, aquatique, montagneux, littoral), émaillés de divers détails architecturaux et culturels typiquement aztèques.

Fireman ? Heatman ?

Le monster design n’est pas en reste puisque chaque type d’ennemi rencontré parmi la grosse dizaine présentée est fort bien détaillé, malgré la taille relativement réduite de la majorité d’entre eux, souvent inversement proportionnelle à leur mobilité et leur capacité de nuisance. Bien entendu, les différents boss bénéficient globalement d’un traitement à la hauteur du défi qu’ils proposent et l’on regretterait presque de ne pas pouvoir incarner au hasard notre alter ego flamboyant dans un mode de jeu alternatif.

Cependant, c’est dans la conception de son casting qu’Itorah brille le plus. Notre personnage est superbement animé en toutes circonstances, jusque dans sa pose d’inactivité. Si notre héroïne a de faux airs de Wonder Girl, nous rappelant une certaine Nadia de la série du même nom, mais avec des mimiques que ne renierait pas Maliki, elle partage néanmoins la vedette avec les autres personnages, son binôme de destruction en tête.

Ce singulier duo nous accueille à la forge

À la fois massue, crochet et même boomerang en fin de partie, ce vieux bougon moustachu prend souvent l’initiative de la communication et représente le guerrier d’expérience qui accompagne notre aventurière dans son périple, à l’opposé complet d’autres mascottes volantes à la voix haut perchée et au comportement insupportable. Les Grands Esprits ainsi que les habitants de Chimali complètent ce casting chamarré et bienveillant, Ahui et son maire de frère, bien entendu, mais également nos deux camelots, dont le design est un clin d’œil à peine dissimulé à d’autres œuvres vidéoludiques.

D’un point de vue sonore, le jeu de Grimbart Tales n’usurpe en rien son titre gagné fin 2022 et ravit nos oreilles avec des mélodies douces, souvent discrètes mais envoûtantes, ainsi que certains morceaux fredonnés à la manière de Bastion, qui accompagnent parfaitement les séquences d’émotion. Les combats de boss quant à eux sont orchestrés de manière beaucoup plus dramatique et rythmée et collent parfaitement à l’ambiance de chacun d’entre eux. L’écho est au rendez-vous dans les grottes merveilleuses et autres temples que nous explorons et les bruitages sont très cohérents avec le reste du titre. Un seul regret entache néanmoins ce tableau idyllique : les personnages s’expriment verbalement uniquement via des onomatopées confinant au simlish.

Ballade en forêt

La facilité, c’est le talent qui se retourne contre nous

Avec un tel engouement pour la partie artistique du jeu, pourquoi celui-ci n’a-t-il pas été porté aux nues depuis l’année dernière ? Comment se fait-il qu’il ne trône pas aux côtés d’autres cadors du même genre tels que cette adorable petite bestiole blanche nommée Ori ? Eh bien, il y a plusieurs raisons à cela. Malgré toutes ses qualités, Itorah trébuche sur le plan du gameplay à plusieurs niveaux. Tout d’abord, si le jeu coche bien les différentes cases du metroidvania, la linéarité est de mise tout au long de l’aventure et jamais un pouvoir récupéré à tel endroit n’ouvre de nouvelles possibilités au sein d’une zone précédente.

Duel dans un champ

Les coffres plus ou moins bien cachés n’obligent au final qu’à effectuer de courts détours pour en récupérer le contenu, consistant soit en une plume, une gemme ou bien des cristaux. Aucun sort ni compétence spéciale “whaouh” ne s’invite à notre arsenal, nous faisant nous interroger sur l’utilité de ce cercle au milieu de l’interface entre nos cristaux de soin et nos barres de vie et d’endurance.

Plus dérangeant, les niveaux sont absolument gigantesques, mais nulle téléportation ou ersatz de voyage rapide entre les différents feux de camp n’est disponible, malgré la promesse de deux actions grisées lors de l’utilisation de ces points de sauvegarde. Nous sommes contraints, dans le cas d’une amélioration à aller rechercher dans un ancien donjon, de répéter l’intégralité du parcours déjà effectué et parfois même poursuivre jusqu’à la salle du boss (heureusement vide) pour pouvoir ressortir, du fait de l’impossibilité de revenir sur nos pas après certains passages. De plus, la barre d’endurance d’Itorah se vide progressivement lors du sprint ou d’une esquive-roulade, interdisant ces deux actions lorsqu’elle se retrouve à plat. Si cela peut arriver et être préjudiciable en début de partie, l’augmentation de cette dernière ainsi que l’utilisation abusive du saut lors de nos déplacements (quelqu’un se souvient des Popples ?) rend au final cette limitation presque complètement caduque. Que dire également du lancer d’arme qui immobilise le personnage jusqu’à son retour dans nos mains, réduisant énormément son utilité dans la majorité des combats ?

La pente est glissante

Enfin, la quantité de cristaux obtenue sur les monstres “normaux” est tout bonnement ridicule (entre un et trois de manière générale) et même en pillant tous les coffres du jeu, le compte n’y est pas. Il devient alors indispensable de ”farmer” à certains endroits précis afin de pouvoir s’offrir les dernières améliorations sans s’arracher les cheveux, plumes ou poils. Tous ces écueils, même s’ils sont loin d’être rédhibitoires, nous font cependant grincer des dents, tant ils auraient pu être évités.

Retiens cet enseignement : un coup annule parfois le précédent

Malgré tous ces points noirs, Itorah ne mérite cependant pas l’intégralité des critiques extrêmement virulentes à son égard. Certes, le gameplay est ultra-basique, simpliste et trop limité diront certains, mais reste amplement suffisant à l’accomplissement de l’aventure, tout comme ces titres old-school qui l’ont inspiré. La partie plateforme ne se corse qu’à partir de la moitié du jeu environ, tirant souvent parti du double saut et de la ruée aérienne, mais sans jamais devenir punitive ou réellement frustrante. La mécanique faisant pivoter certains éléments du décor n’entraîne jamais de nœuds au cerveau, restant dans des limites toujours raisonnables et n’entrave jamais longtemps notre progression. L’absence de capacités spéciales ou magiques se fait sentir, du fait de notre attente fébrile vis à vis de ces possibilités que l’on retrouve dans la majorité des productions du genre, mais n’aurait finalement rien apporté de plus à la jouabilité, hormis peut-être de trivialiser certains affrontements.

Que d’épines, que d’épines !

Et nous touchons là le cœur du problème. La difficulté n’est clairement pas le point fort d’Itorah, réduisant sa durée de vie à moins d’une dizaine d’heures et sans réelle rejouabilité, hormis un speedrun nous octroyant un succès dédié. Mais peut-être que nous autres “vieux briscards vidéoludiques couturés de cicatrices et accrocs aux champignons colorés” ne sommes-nous pas représentatifs du public initialement ciblé ?

Un ptit air de Castlevania

Car oui, Itorah est extrêmement accessible : la majorité des ennemis ne nous oppose qu’une résistance de principe, quand ils ne peuvent pas être tout bonnement esquivés. De plus, il est possible de copieusement maltraiter l’ensemble des boss après une observation rapide et une analyse basique de leurs patterns. Mais passez donc la manette à votre jeune nièce qui a récolté un 18/20 à son exposé sur les aztèques et qui s’extasie simplement sur les graphismes et le côté super choupi des personnages : retour au checkpoint et soupe à la grimace presque garantis.

Alors, certes, le jeu aurait pu proposer plusieurs niveaux de difficulté pour contenter tout le monde. De petits bonus de lore sous forme de collectibles supplémentaires auraient représenté un ajout appréciable pour des joueurs un peu plus exigeants. Mais en y réfléchissant, l’ambiance générale ne se prête absolument pas à ce type d’exercice. Le Père Grimbart s’est confortablement installé pour nous raconter une belle histoire avec une morale on ne peut plus classique, poser une ambiance et simplement nous faire voyager, pas pour nous faire saigner les pouces ni liquéfier notre raison.

Testé sur Xbox Series X et Xbox One

Bilan

On a aimé :
  • La direction artistique superbe
  • Les personnages sympathiques et mignons
  • Un gameplay très simple et efficace
On n’a pas aimé :
  • Un metroidvania finalement très linéaire
  • Quelques oublis et coquilles de game design
  • Aucune rejouabilité
Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants

Finalement, le seul vrai péché d’Itorah est de présenter un déséquilibre flagrant entre son volet technique très appréciable et les mécaniques qu’il met en œuvre, beaucoup moins ambitieuses, originales et parfois même incomplètes. Un peu comme ce superbe sex-symbol au magnétisme exotique fou, qui nous donne des palpitations rien qu’à le regarder, mais qui tue le rêve à grands coups de pelle par sa manière de s’exprimer. Il faut alors faire fi de nos préjugés, mettre de côté nos automatismes nés de notre longue expérience et retrouver notre âme d’enfant. Car Itorah a un bon fond, à la fois austère et généreux et s’adresse au joueur novice que nous étions alors, émerveillé par ces couleurs vives et subjugué par ce mignon petit personnage bondissant dans tous les sens.

Accueil > Tests > Tests Xbox One

Itorah

PEGI 3

Genre : Aventure/Plates-Formes

Editeur : Assemble Entertainment

Développeur : Grimbart Tales

Date de sortie : 21 avril 2023

Prévu sur :

Xbox Series X/S, Xbox One, PlayStation 5, PlayStation 4, PC Windows, Nintendo Switch