Kinect est-il vraiment mort ?

Ça commencerait comme dans une série télé des années soixante. Cinq voyageurs de l’espace vêtus de pyjamas colorés se pencheraient sur les restes d’une machine mystérieuse : un cyclope électronique rectangulaire fixant placidement un canapé. L’homme en bleu promènerait une salière lumineuse autour du cyclope puis se tournerait vers ses compagnons : « Aucun signe vital. Il est mort, Jim. » Les hommes quitteraient alors la pièce pour s’intéresser à d’autres reliques, un Minitel ou un PC VAIO.

La caméra, elle, s’attarderait dans la pièce et proposerait un gros plan sur l’oeil absent du cyclope pendant de longues secondes. Le téléspectateur angoissé comprendrait alors que la machine silencieuse n’aurait pas forcément dit son dernier mot. Générique.

« La Xbox One, c’est Kinect » - Phil Harrison, août 2013

Kinect est donc devenu optionnel. BAM ! C’était une possibilité que nous évoquions récemment en tant que stratégie de Microsoft pour l’E3, mais il faut bien avouer que le timing de cette annonce aura pris tout le monde de court, nous les premiers.

Désormais, donc, le consommateur a le choix. Une Xbox One au même prix que la PS4 ou une Xbox One Kinectée. Cette offre fera plaisir à ceux qui jugeaient l’accessoire inutile, mais elle va nécessairement faire grincer des dents ceux qui auraient aimé avoir le choix, et encore plus ceux qui croyaient en la détermination de Microsoft à imposer une nouvelle façon de jouer. En termes d’image de marque, l’opération est risquée et les bénéfices incertains.

Une fois revenus du choc, il faut bien reconnaître que les signes annonciateurs de cet énième virage à 180 degrés ne manquaient pas. Les jeux qui utilisent un tant soit peu les spécificités de Kinect sont rares et le font le plus souvent de manière anecdotique (Dead Rising 3, Battlefield 4, Fifa 14...) et seuls Just Dance et Fighter Within justifiaient la présence de l’accessoire au lancement. Un autre indice avait mis la puce à l’oreille : l’annonce récente de la possibilité offerte aux développeurs de relocaliser les ressources de la Xbox One jusque-là réservées à Kinect. Cette redistribution de la puissance indiquait bien que la division Xbox préférait s’engager dans la guerre du 1080p plutôt que dans celle du gameplay « sans les mains ». Une façon polie de dire aux développeurs : « Finalement, faites ce que vous voulez, mais on veut que les jeux soient jolis pour Digital Foundry ».

Rare m’a tuer

Comment expliquer autrement la décision de supprimer Kinect du bundle ? Simplement pour aligner le prix de la console sur la concurrence sans que cela ne fasse trop « baisse de prix » ? Non, le mal est bien plus profond que cela et vient avant tout de l’insuffisance des jeux dédiés à Kinect.

Si Fighter Within, titre assez fun bien qu’approximatif, n’avait pas porté préjudice à Kinect (il avait l’excuse d’un jeu de lancement rushé), il en va tout autrement pour Kinect Sports Rivals. Lorsque tous les espoirs d’une promesse de gameplay se portent sur un seul jeu, celui-ci se doit d’être exemplaire. Et si, techniquement, Kinect fait plutôt bien son job, Rare n’a pas su en tirer parti en proposant des épreuves très inégales et à l’intérêt parfois douteux. Six disciplines seulement, dont trois plutôt faiblardes, c’est nettement trop peu pour convaincre. Et le plus triste, c’est que dans toutes les épreuves, ou presque, la reconnaissance Kinect est le plus souvent remarquable, signe que des choses excellentes POURRAIENT être réalisées. Au lieu d’un party game explosif avec une quinzaine d’épreuves techniques ou fun, permettant de « s’y croire » ou de délirer en famille, Rare n’a sorti qu’un jeu de sport très moyen, trop cher et mal ficelé. Au secours.

Alors oui, rétrospectivement, on peut se dire que l’avenir de Kinect était tout tracé. Un KSR moyen et indigne des attentes, un Titanfall (fer de lance de la console) qui ignore totalement Kinect, une absence inquiétante d’annonces pour des jeux ou des fonctionnalités dédiés à l’accessoire : on ne pouvait que craindre le pire pour le capteur de Microsoft à l’E3. Phil Spencer a même devancé l’appel. Rideau.

Skype ou Fitness ou Skype ?

Avouons-le sans détour, cette décision stratégique (ou épidermique) de rendre Kinect optionnel est une gifle pour l’accessoire, et dans une certaine mesure pour les premiers acheteurs. Les promesses de gameplay novateur avec une résonance console + Kinect + Smartglass s’éloignent de plus en plus alors que la branche Xbox s’engage dans une guerre hardware. La Xbox One perd un peu plus de son identité pour devenir une « Xbox 3 », une console de jeu qui ne fera... que du jeu. Les exclus la tireront peut-être vers le haut, mais tout l’écosystème mediacenter qui avait séduit 4 millions d’acheteurs risque fort de passer au second plan. Pour le joueur qui possède la console, Kinect risque donc fort de devenir rapidement synonyme de Skype, si d’autres applications ne viennent pas rapidement s’ajouter au catalogue et proposer une utilisation ludique ou pratique de la caméra mal-aimée.

Les plus courageux persisteront néanmoins sans doute dans le fitness, l’autre appli Kinectienne par excellence de la Xbox One, dont la reconnaissance plutôt exemplaire permet de faire ses exercices quotidiens directement dans son salon, pour peu qu’on ait un peu de place.

Pour le reste hélas, on se demande bien ce que l’on pourra faire de notre caméra. Inviter des amis pour des soirées KSR et Just Dance, une fois par mois ? Faire des enfants pour s’extasier avec eux sur les bestioles de Zoo Tycoon ? C’est short, pour le moins. À moins que Kinect n’ait d’autres tours dans son sac ?

« I’m sorry Phil, I’m afraid I can’t do that »

Sur les forums hostiles à la Xbox One, on a beaucoup raillé Kinect sur sa ressemblance avec Hal 9000, l’ordinateur de 2001, l’Odyssée de l’espace. Et tout comme Hal, il se pourrait bien que Kinect refuse de se laisser débrancher. Voici quelques — petites — raisons d’espérer... Si l’on aime à répéter qu’il n’y a presque aucun jeu annoncé destiné à Kinect, il serait néanmoins juste de donner sa chance à un titre atypique qui pourrait relancer l’intérêt du joueur : D4. Cet ovni vidéoludique, suite d’une série initiée sur Dreamcast, ne manque pas d’intérêt pour qui a envie de jouer autrement. D4 est un jeu d’aventure point’n click qui se joue intégralement à la main et propose d’explorer son environnement, résoudre des énigmes et combattre sans appuyer sur le moindre bouton. Les premiers retours concernant le gameplay étant plutôt élogieux, on ne pourra que surveiller attentivement ce titre afin de voir si une date de sortie est annoncée au cours de l’E3.

Les indés à la rescousse ?

Ne perdons pas de vue un point important concernant Kinect : il y en a actuellement plus de 4 millions en circulation dans le monde. C’est un marché plus qu’intéressant, notamment pour des indépendants qui voudraient surfer sur les possibilités d’un gameplay terriblement sous-exploité. Soyons clairs : si les indés ont réussi à maintenir en vie une PS Vita longtemps abandonnée par son constructeur, ils peuvent tout aussi bien donner un nouveau souffle au périphérique de Microsoft. Peu de jeux AAA, peu d’applis, un public en manque, tous les éléments sont réunis pour que les premiers développeurs qui tenteront l’expérience pour des petits jeux à bas prix fassent un véritable carton. Pas de concurrence, exposition maximale (car Microsoft fera tout pour les mettre en avant dans le ton « Si si, on soutient Kinect, la preuve ! »). Je conseillerais VIVEMENT à toute personne qui sait développer un jeu de se ruer sur le créneau Kinect dès que possible : 4 millions de ventes garanties pour les premiers arrivés, excusez du peu.

Certains ont eu la même idée, et la tête de gondole de l’intérêt porté par les indés à Kinect a déjà un nom : Fru. Ce titre, très prometteur est un jeu de plates-formes qui utilise le corps du joueur pour faire progresser le personnage de niveau en niveau. En cours d’adaptation pour Xbox One (il existe déjà sur PVC), il s’annonce terriblement addictif ! Les jeux indés suffiront-ils à relancer un accessoire boudé par son constructeur ? Sans doute pas. Mais puisque vous l’avez, autant en profiter, non ?

Et les joueurs, finalement ?

Au final, on ne peut s’empêcher de penser que tout cela demeure du gâchis. Les revirements précédents de Microsoft étaient sans grande incidence, car ils concernaient une console qui n’était pas encore sur le marché. A présent, toute modification de stratégie implique que l’on risque de se mettre à dos des consommateurs qui croyaient sincèrement au « all-in-one » proposé à l’origine.

Disons les choses carrément. Est-ce que Microsoft a eu tort de se séparer d’un frein à l’achat aussi encombrant ? D’un point de vue marketing, non. Prix moins cher = plus de ventes, ce qui permettrait de confirmer la confiance des studios pour la console et de les inciter à développer de plus en plus de jeux. L’abandon de Kinect pourrait, par exemple, être l’argument choc dont aurait besoin Microsoft pour inciter Electronic Arts à lui réserver le prochain épisode de Titanfall.

D’un point de vue relation consommateurs, c’est plus discutable. Car NON, Kinect n’est pas abandonné, OUI Kinect sera encore vendu à part (et même sur PC), OUI on va nous assurer que l’accessoire sera toujours exploité, que les jeux arrivent, etc. Il n’en demeure pas moins qu’il ne s’agira pour l’instant que de promesses, car l’avenir est plus qu’incertain pour la Xbox One telle que nous la connaissons.

Ne soyons pas naïfs : le marché étant ce qu’il est, il est nécessaire de faire des choix, de ne pas s’entêter dans des stratégies qui ne sont pas forcément les bonnes. Mais Microsoft serait bien inspiré, quels que puissent être ses décisions futures, de ne pas négliger les 4 millions de joueurs qui ont adhéré au projet initial, faute de quoi les plus fidèles risquent fort de dire « Xbox, éteignez », pour la dernière fois.

Le changement c’est maintenant ! (ou demain) (peut-être)

Prenons une DeLorean ou une cabine téléphonique bleue et projetons nous dans deux ans… Les gens qui voulaient une Xbox One en ont désormais une. Halo V, Quantum Break, Gears of, Forza Horizon 2 et les autres ont fait leur boulot et ont installé un parc conséquent de machines.

Entre temps, Microsoft a eu le temps de poser sa stratégie et de décider si Kinect devait vivre ou mourir. Tuer Kinect, c’est tourner définitivement le dos à ce marché versatile et fuyant du casual gamer, auquel Microsoft tendait ouvertement les bras depuis l’annonce de la console. Est-ce un risque que Microsoft est prêt à prendre pour contrer la PS4, alors que les responsables martelaient encore il y a peu que la concurrence entre consoles étaient “un marathon et pas un sprint” ?

Les réactions du géant américain (pour calmer les actionnaires ?) semblent pourtant celles de la recherche du résultat immédiat. Comme si la marque Xbox, soudain peu sûre de sa machine et de son catalogue, cherchait à monter dans le bon wagon d’un train qu’elle ne conduit pas.

Plus que Kinect, plus que le respect des DOGS (Day One GamerS), la vraie question est celle de la cible de la Xbox One, à l’origine console “tout en un”, mais aussi console “pour tous”. Si les gamers passeront volontiers leur temps sur Uncharted ou Gears of War, si les geeks auront un casque virtuel Facebook ou Sony sur la tête, les familles qui veulent s’amuser dans leurs salons auront-elles un autre choix… que de rallumer la Wii ?