Laissez-moi vous raconter une histoire qui m’est arrivé, et qui est une formidable illustration de mon propos du jour.
Une jolie histoire qui souligne quelque chose qui m’agace au plus haut point depuis déjà quelque temps dans l’attitude de ceux qui s’auto-définissent comme des « hardcore gamers ».
Au centre de la discussion, bien entendu, Kinect, et à qui s’adresse ce périphérique…
Bref, séance de jeu à la maison pour montrer à un ami comment fonctionne Kinect. Il vient avec un de ses copains, curieux de voir tourner la bête.
On joue à Kinect Sport, et pour être plus précis au jeu de volley. Et on s’amuse plutôt bien.
Une fois la console éteinte, et devant une bière, le copain en question commence à m’expliquer avec de grands airs que Kinect est vraiment un truc bien pour les « casuals », pour les gens comme moi qui ne s’intéressent pas vraiment aux jeux vidéo. C’est vrai que la confusion était possible : mes jeux à tranche verte étaient bien cachés dans leur tiroir, j’ai la Xbox 360 noire, toute neuve, comme si je venais de commencer à jouer sur ce système, je m’approche de la quarantaine, je suis ce qu’on appelle un bon père de famille.
Lui a dans les 25 ans, a une PS3, et se considère comme un passionné authentique très connaisseur du domaine.
Quand j’entends ce genre de trucs, j’ai tendance à entrer dans de grands débats sur la définition du « gamer » et sur le sens même de ce qu’est un jeu… Bref, le genre de grandes théories que j’ai l’habitude d’exposer dans mes éditos. Et bien pas cette fois.
J’ai fait semblant de ne rien y connaitre, juste pour voir. Et ça a été plutôt amusant.
Tous les poncifs y sont passés : Kinect, c’est limité, on ne peut pas faire grand-chose, et puis ça n’évoluera jamais puisqu’il n’y a pas de manette, ce mot étant prononcé comme si c’était le Saint Graal.
J’objecte timidement qu’il avait l’air de bien s’amuser pendant qu’on jouait, mais cela a été balayé par le fait que c’était juste pour 30 minutes, juste de l’immédiat qui ne demande pas de concentration les yeux rivés à l’écran.
Je tente encore, signalant que s’il avait été un peu plus concentré, peut-être ne se serait-il pas pris une branlée contre la console… Mais non, ce type de concentration n’a rien à voir avec celle des « vrais jeux ». Information importante, il y a donc plusieurs types de concentrations, l’une étant supérieure à l’autre.
Je laisse dériver la discussion, et là j’apprends avec surprise que notre ami super gamer joue à Rock Band. J’apprends aussi qu’il s’est acheté le Move et qu’il aime tirer sur son écran.
Là je ne peux m’empêcher de mimer une perplexité totale. Comment ? Une guitare en plastique ? Un bidule avec une boule au bout pour faire pan-pan sur un écran ? Quelle est la différence avec Kinect ? Ce ne sont pas là aussi des trucs de « casual » ?
Sans se démonter, il me répond qu’on voit bien que je ne connais pas trop les jeux vidéo, que ça n’a rien à voir, car ça demande du skill. Donc en plus de deux catégories de concentration, on a aussi deux catégories de « skill », celui des jeux sérieux, même si on est en train de pointer un sex-toy sur un écran, et celui des simples divertissements où on n’a rien entre les mains.
J’aurais pu sans doute encore m’amuser un peu avec ce charmant garçon, mais bon, j’avais aussi autre chose à faire.
Alors je lui ai tout sorti d’un coup, en commençant par lui dire que je devais être casual depuis longtemps, puisque j’aimais bien jouer à Rocky sur Collecovision et ses manettes en forme de gants de boxe.
Que par la suite, après avoir joué à Ultima sur mon PC, et après une partie de Dragon Force, j’aimais bien sortir mes flingues pour un Virtua Cop sur ma Saturn. Enfin, histoire de couper court, j’ai commencé à sortir des jeux de ma collection, en lui posant à chaque fois d’un air très concerné la question : « Et celui-là, c’est pour Casual ou pour Gamers ? ».
Il s’est naturellement rendu compte que je m’étais payé sa tête, et a eu le mérite d’en rigoler plutôt que de me traiter de noms d’oiseaux. C’est déjà ça, ça aurait pu être un « hardcore gamer » encore plus « hardcore » !
Cette anecdote est l’illustration de la réaction que provoque Kinect depuis sa sortie. On pourrait juste dire que ça nous intéresse ou que ça ne nous intéresse pas, mais non, les jeux accompagnant le périphérique bénéficient d’un traitement de faveur particulier, celui d’être traités avec un certain mépris par les autoproclamés “vrais joueurs”.
Le qualificatif détestable de « casual » créé une sorte de sous-classe des jeux vidéo, des joueurs bas de gamme, jouant à des jeux bas de gamme.
Intéressant de voir que ce terme est apparu en même temps que la démocratisation des jeux vidéo, comme pour continuer de perpétuer une démarcation entre les initiés et les p’tits nouveaux.
J’avoue que je ne comprends plus ce comportement, tellement il n’est pas en phase avec notre loisir préféré. D’un côté on parle de jouer, et donc de se distraire, et d’un autre côté on voudrait prétendre qu’il y a une distraction de première et de deuxième classe. Une distraction primaire, et une distraction sérieuse, avec toute l’antinomie qui existe entre ces deux termes.
Qui est ridicule dans cette histoire ? Celui qui ne se pose pas de questions autres que de savoir s’il s’amuse ou pas, ou bien celui qui se met des limites et qui par principe va mépriser ce qu’il considère comme forcément moins intéressant ?
On n’est pas obligé d’aimer jouer avec Kinect, mais partir du principe que ce qu’on n’aime pas a moins de valeur que ce qu’on aime, c’est une étroitesse d’esprit particulièrement réactionnaire.
Un peu comme ces vieux qui par principe trouvent nul tout ce qui n’est pas de leur époque (rock, techno, rap, cinéma d’action, jeux vidéo, casual ou pas, eux s’en foutent et mettent tout ça dans le même panier).
Et si c’était le signe que les jeux vidéo sont maintenant entrés dans les mœurs ? Ça y est, nous aussi on a nos vieux grincheux !
Aujourd’hui, Kinect, plus encore que la Wii, amène une nouvelle vague de joueurs, décomplexés, de tous âges, qui se foutent complètement des principes de nos fameux « hardcore gamers ».
Ces nouveaux joueurs donnent tout simplement une leçon aux partisans de l’immobilisme, et ils en sont les premiers bénéficiaires, puisque eux, au moins, s’amusent. Plus fort : ils ont acheté une Xbox 360, et il est plus que probable qu’ils voudront également profiter des jeux plus classiques. Ce n’est pas un problème pour eux, puisqu’ils n’ont pas d’œillères.
Ce qui est drôle, c’est que dans ces nouveaux joueurs, il y a des jeunes, mais aussi des papas et des mamans qui filent un coup de vieux à ces 15-25 ans si certains de détenir une vérité absolue immuable.
On ne sait pas comment évolueront les choses, si Kinect sera un succès sur la durée. On ne sait pas non plus s’il parviendra à s’affranchir du style de jeux « party games », le public pour des jeux plus profonds étant en grande partie composé de ces « hardcore gamers » frileux. Mais peu importe, ce qui se passe maintenant est déjà un succès. La Wii avait créé un nouveau public, axé sur la convivialité, Kinect pousse plus loin cette logique avec en plus une innovation qui attire en plus les curieux et les amateurs de nouvelles technologies. Et tant pis pour ceux qui restent sur le bas côté entouré de leur manteau de mépris.
Autant je respecte les joueurs qui disent que ça ne leur plaît pas, et qui ne se mêlent pas de ce que devraient penser les autres (après tout, je ne suis pas moi-même très fan de la Wii), autant les réacs des jeux vidéo qui arguent qu’un jeu doit être comme ça et pas autrement me fatiguent.
Chacun sa façon de voir, mais personnellement c’est avec joie que j’accueille tous ces nouveaux joueurs : au minimum, ça fera plus de lecteurs pour Xboxygen !