On a coutume de dater la naissance des jeux vidéo avec la première apparition de PONG, le jeu d’arcade d’Atari, en 1972.
Cela fait donc 38 ans que les jeux vidéo existent, et ils se sont progressivement frayés une place dans les foyers pour (enfin) faire partie du décor en tant que loisir courant.
Avec les machines proposant de jouer en famille, que ce soit la Wii ou Kinect, ils ont terminé leur dernière mutation, en touchant toute la population.
Si tout le monde ne joue pas, c’est maintenant plus par goûts qu’autre chose, comme tout le monde n’aime pas le foot ou le cinéma.
38 ans, c’est beaucoup plus long que n’importe quel loisir pour être accepté…
Il faut dire que les freins ont été nombreux. Le premier, c’est le prix. Quelle que soit l’époque, les jeux vidéo sont un loisir cher. Si cela reste accessible à tous en étant un minimum malin ou en ne cherchant pas à jouer à la dernière nouveauté, pour les plus modestes ce sera au prix du sacrifice de nombreux autres loisirs. Taper dans un ballon revient à nettement moins cher ! Le deuxième frein est technique. Si les consoles sont très simples d’utilisation, pendant une large période cela se passait sur ordinateurs, demandant un minimum de connaissances et un apprentissage qu’on n’avait pas forcément envie de subir.
Afin de pallier le premier frein, et à cause du second, s’est d’abord créée une communauté fermée, étrange pour ceux qui n’en faisaient pas partie. On échangeait des jeux pour partager les frais, en utilisant un jargon abscons. Ainsi, les joueurs ont longtemps été identifiés à un groupe marginal, parlant un langage propre, nageant dans une culture identitaire en marge pour les regards extérieurs. Les joueurs en tiraient une sorte de fierté, ne faisant aucun effort pour s’ouvrir, si biens entre eux.
Quand on ne comprend pas quelque chose, on en a peur…Et c’est donc très logiquement que les médias (et les politiques, toujours prompts à la démagogie) se sont empressés de faire des jeux vidéo le responsable de tous les maux de la jeunesse. Si près de nous, nous avons encore en mémoire toutes les accusations formulées contre GTA, grand créateur de sociopathes à en croire les moralistes. En remontant un peu plus loin en arrière, on pourra trouver de nombreux exemples prouvant que cette tendance existe depuis le début. Les jeux vidéo volent l’âme des enfants, ils ne vivent que pour ça, et les salles d’arcade étaient des lieux de perdition où la drogue circulait à flot…
Ces réactions primaires auraient pu durer moins longtemps si les jeux vidéo avaient fait un petit effort, il faut bien le reconnaître ! A peine commençaient-ils à se « normaliser » en touchant le marché de masse (avec la PS1, mais surtout la PS2) qu’ils agrémentaient les articles de nouveaux scandales. Rockstar a toujours été très fort pour ça, mais ils ne sont pas les seuls. Des jeux ultra-violents sont toujours sortis régulièrement, bénéficiant d’un réalisme toujours plus fort avec l’évolution de la technique. Bien entendu, l’immense majorité des joueurs sait prendre la distance nécessaire pour rester sain d’esprit en jouant à n’importe quoi ou pour capter la dérision des situations. Les joueurs ont toujours été plus adultes par rapport à leur loisir que les autres.
Et quand la violence a commencé à moins faire débat, les MMO ont pris le relais, créant un nouvel archétype de marginal généré par les jeux vidéo.
Naturellement, on évite de se poser la question de savoir si on a là une cause ou un symptôme de société : nous vivons dans un monde capitaliste, application de la doctrine libérale qui considère que l’élément majeur de notre société est l’offre, et non pas la demande. Il est donc logique que ce soit l’offre qui soit mise en accusation et accusée. Oui, je sais, je schématise à l’extrême, mais bon, je suis là avant tout pour parler de jeux vidéo, pas de doctrines économico/politiques…
Dans l’histoire, tous les nouveaux loisirs ont été traités de la même façon. En musique, on peut penser au rock (et oui, les inoffensifs Beatles ont un jour été considérés comme subversifs), au punk ou au rap.
Au cinéma, on peut penser au cinéma fantastique, avec des films emblématiques eux-aussi soi-disant responsables de tous les malheurs du monde (Orange Mécanique, L’Exorciste, Mad Max 2, Massacre à la tronçonneuse…). Le même traitement, mais pas aussi longtemps. Franchement, aujourd’hui, quand on explique les actes d’un détraqué par la vision de Scream, ça fait sourire plus qu’autre chose, et on n’y prête pas attention.
Si ces modes d’expression sont plus vite entrés dans les mœurs, c’est entre autres car ils se sont mis à la portée de tous. Il y a de la musique ou du cinéma pour tous les âges, et pour tous les styles.
C’est très exactement ce que viennent de faire les jeux vidéo avec cette génération. Il aura fallu attendre que les premiers joueurs deviennent des parents pour qu’on ait aujourd’hui des jeux pour les adultes, pour les plus jeunes ou pour les filles. Enfin, le marché a atteint une taille suffisante pour qu’il soit viable financièrement de s’adresser à des sous-groupes, démontrant ainsi l’universalité de ce loisir.
Naturellement, on a encore le droit à une stigmatisation ponctuelle, via la censure exercée par l’Allemagne ou l’Australie, les deux pays champions de l’hypocrisie. Si l’Australie est culturellement prude, conservant une attitude très WASP (si vous ne savez pas ce que cela signifie, je vous renvoie à vos manuels d’histoire ! C’est aussi ça Xboxygen : un bon moyen de réviser ses cours…) par bien des aspects, ce n’est pas le cas de l’Allemagne, capable d’un cinéma des plus extrêmes, que ce soit en termes de violence ou de pornographie. De temps en temps, un sénateur américain brandit la menace d’interdiction de jeux vidéo dans la presse. En France également, on a droit à quelques propos absurdes de réactionnaires vieillissants. Mais franchement, qui est encore inquiet pour l’avenir de notre loisir préféré ?
On est en train de passer à autre chose, au bouc émissaire suivant. Actuellement, ce sont plus les réseaux sociaux et les dérives d’internet…Chacun son tour.
De plus en plus de décideurs, de juges, de journalistes, d’hommes-politiques, d’artistes sont et seront des personnes ayant joué aux jeux vidéo.
De même que ça ne vient plus à l’idée de personne de s’en prendre au rock, ça ne viendra bientôt plus à l’idée de personne de s’en prendre aux jeux vidéo, et ceux qui traitent ce loisir avec ce petit dédain méprisant qu’on croise encore parfois ne vont pas tarder à être minoritaires.
Ce n’est pas trop tôt.