Test - Road 96 - Jusqu’ici tout va bien…

«“J’suis l’bitume avec une plume”.» , - 0 réaction(s)

Disponible sur Xbox depuis le 14 avril, Road 96 était attendu par de nombreux joueurs. Le dernier titre du studio montpelliérain DigixArt, jeu narratif en vue à la première personne, avait fait parler de lui dès sa sortie cet été sur PC et Switch. Par la suite, il avait attiré de nombreux regards lors de la cérémonie des Pégases. Lors de cette grande célébration du jeu vidéo français, il avait décroché pas moins de cinq récompenses, soit autant que Deathloop, dont celle du meilleur jeu indépendant et de l’excellence narrative. Rien que ça…

Sans surprise, l’intégralité de l’aventure se déroule sur la route.

Les voyages forment la jeunesse

Avec ses paysages sans fin empreints de liberté, Petria évoque le sud des Etats-Unis. Malheureusement, cette comparaison s’avère uniquement esthétique et linguistique puisque la jeunesse du pays est prête à risquer sa vie pour fuir le régime autoritaire du président Tyrak. Cette situation s’est aggravée depuis un tragique “incident” survenu en 1986, au cours duquel de nombreux opposants politiques ont perdu la vie.

Dix ans plus tard, et alors que de nouvelles élections présidentielles vont avoir lieu, la situation semble plus instable et explosive que jamais. En effet, le groupuscule “terroriste” des Brigades Noires continue de mener des actions violentes afin de bousculer la dictature en place.

Alors que de plus en plus de jeunes gens tentent de quitter Petria par tous les moyens, Road 96 nous invite à incarner une poignée d’entre eux, sur le chemin semé d’embûches qui doit les mener vers la liberté.

La politique est au coeur de l’intrigue

Nous débutons donc l’aventure dans la peau d’un personnage aléatoire dont nous ne savons rien. Et pour cause, le titre de DigixArt ne s’attarde aucunement sur celles ou ceux que nous incarnons tout au long de cette aventure de 8 à 10 heures, mais uniquement sur nos rencontres. Nous faisons donc la connaissance de sept personnages (dont une policière, un geek, deux brigands, etc…) que nous croisons à diverses reprises et qui sont tous plus ou moins liés, parfois sans le savoir, par les événements auxquels nous assistons.

Cette prise de risque dans la narration est à saluer. Il est en effet assez rare qu’un studio décide de développer sa narration uniquement à travers ses PNJ, en assumant totalement de faire l’impasse sur les personnages que nous contrôlons. Bien que cela puisse sembler assez déroutant en début de partie, ce choix est rapidement justifié par le fait de focaliser notre attention sur ce dont nous sommes témoins et non sur ce que nous sommes.

La fuite de Petria doit être effectuée plusieurs fois.

Avec ce parti pris de mettre en avant les rencontres plus que l’objectif, le studio montpelliérain embrasse ce qui fait le charme des jeux narratifs, mais prend le risque de laisser sur le bord de la route les profanes du genre. Ainsi, le plaisir de jeu dépend plus que jamais de la capacité de chacun(e) à se laisser transporter par une histoire qui prend forme face à nous, plus qu’avec nous. Qu’on aime ou pas le scénario du titre, dont on ne dévoilera rien de plus sous peine d’en gâcher la découverte, il semble difficile de ne pas adhérer aux différents sujets centraux que traite Road 96 : la politique, la liberté, la désobéissance civile ou la révolte. Ces derniers restent trop rarement abordés dans notre média bien qu’éminemment actuels.

La route de l’infortune

L’histoire est au centre du jeu, mais quel est notre objectif ? Le titre est composé de plusieurs chapitres. Afin de les conclure, nous devons amener notre personnage au-delà de la frontière. Pour ce faire, il nous faut traverser plusieurs environnements qui intègrent des PNJ et événements spécifiques. Ce qui nous amène à l’autre particularité du titre, la génération procédurale de notre voyage.

Soyons bref. Le côté « procédural » du titre résonne plus comme un argument marketing qu’autre chose. Il faut ainsi comprendre que si l’ordre des événements se déroule bien de façon aléatoire, cela revient purement et simplement à mélanger un paquet de cartes. En effet, chaque joueuse ou joueur va découvrir les personnages et les événements dans un ordre différent. Cependant, il y a fort à parier qu’une fois la fin du jeu atteinte, chacune et chacun ait assisté peu ou prou à la même chose, même si l’ordre chronologique diffère.

Certains dialogues peuvent déboucher sur un funeste destin.

La part d’aléatoire et son impact se ressent plus particulièrement sur deux aspects précis du titre. Lors de chaque nouveau départ vers la frontière, notre personnage dispose d’une barre de santé et d’économies qui lui sont propres. Ces deux attributs jouent un rôle prépondérant dans nos chances d’arriver au bout de notre voyage. Car si le succès vient le plus souvent couronner notre exil, la case prison et la mort sont également au programme.

L’aller simple pour le camp de travail vient punir une mauvaise décision alors que la mort frappe lorsque la barre de santé est vide. Bien que cette situation reste rare, elle s’avère surtout relativement injuste. En effet, le choix de privilégier un moyen de transport à un autre (marche à pied, taxi, bus, etc…) entre chaque environnement nous demande de sacrifier un peu de notre santé. Celle-ci peut être récupérée en s’hydratant, en se nourrissant ou en dormant. Problème : l’accès aux produits de premières nécessités ou à de l’argent dépend des environnements. Dès lors, il arrive que l’aléatoire nous joue des tours et ne nous permette pas de survivre. De quoi créer une frustration certaine, qui plus est dans un jeu narratif.

Pour remédier à cela, le titre nous offre rapidement des capacités dont tous nos personnages jouables disposeront à l’avenir. Elles nous permettent d’effectuer des actions supplémentaires afin d’obtenir plus souvent des vivres ou de l’argent. Mais à nouveau, l’aléatoire peut jouer son rôle de trouble-fête (comme dans certains rogue-like).

Les mini-jeux manquent souvent d’intérêt.

Une fois ce défaut pointé du doigt, il faut admettre que la progression dans l’aventure est finalement assez linéaire. Les rencontres s’enchaînent avec leurs lots de dialogues à choix multiples, dont l’impact se fait plus ou moins ressentir par la suite (il existe plusieurs fins), entrecoupées de mini-jeux souvent plus proches de QTE extrêmement basique que de réels défis.

Bien que la force du jeu réside dans ses destins croisés et son aspect “choral” (en référence aux films Babel, Pulp Fiction, Collision…), rares sont les situations, dialogues ou personnages qui nous ont véritablement marqué, et ce pour plusieurs raisons. L’écriture des sept personnages principaux reste assez classique, voire parfois superficielle. Nous n’échappons donc pas à certains clichés qui, s’ils ne nuisent pas à l’aventure, sautent particulièrement aux yeux dans un jeu “narratif”. La construction des dialogues à choix multiples apparaît comme vue et revue avec son déroulé “suspicion, confiance et révélation”. Enfin les différentes réponses dont nous disposons n’échappent pas à un certain manichéisme.

Un personnage aussi insupportable que central.

L’autre principal défaut de Road 96 se situe dans son rythme. Qu’il s’agisse du fond ou de la forme, un manque cruel de renouveau et de folie se fait ressentir à chaque nouvelle fuite vers la frontière. Les environnements et situations se répètent bien trop rapidement. Seules les scènes de la limousine et du braquage ont particulièrement retenu notre attention. C’est trop peu.

Mirage

Dans la forme, Road 96 souffle le chaud et le froid, même si son statut de jeu indépendant lui permet d’excuser certaines faiblesses techniques. On pense notamment à des soucis de fluidité, à des animations assez pauvres, à des environnements de taille réduite et sans vie ou à des éléments de décors qui apparaissent bien trop tardivement (les arbres au loin lors des phases de conduite…ouch).

Sans être désagréable, l’esthétique ne retient pas spécialement l’attention.

Une fois de plus, ses légers problèmes ne font pas de Road 96 un mauvais jeu. Il est cependant plus gênant de voir que la direction artistique, bien que potentiellement inspirée de titres comme Borderlands (2012) ou Firewatch (2016), ne parvient jamais à trouver sa propre identité. Et si le tout n’est pas désagréable à l’œil, en faisant fi des soucis soulignés précédemment, rien ne retient notre attention pour autant. À cela s’ajoute une mise en scène extrêmement minimale qui n’aide pas à amplifier les émotions que le titre tente tant bien que mal de véhiculer.

Pour ce faire, Road 96 mise beaucoup sur sa partie sonore. Si le doublage en version anglaise (sous-titrés en français par défaut) est correct, les musiques ont particulièrement retenu notre attention. En effet, le titre intègre de superbes morceaux d’artistes aussi variés que The Toxic Avenger ou Daniel Gadd (dont les œuvres rappellent la bande originale du premier volet de Life Is Strange).

Seule ombre au tableau sur ce point, l’utilisation de certaines musiques pour amplifier l’émotion à parfois tendance à trop forcer le trait (l’électronique pour l’action, la guitare pour l’émotion, etc…). Pour illustrer ce propos, la présence du morceau Bella Ciao, bien que soulignant la notion de révolte, ne semble pas des plus originale, qui plus est depuis le succès planétaire de la Casa de Papel.

Test réalisé sur Xbox Series X (optimisé).

Bilan

On a aimé :
  • Une vraie prise de risque dans ses thématiques
  • Un jeu “choral” qui ne ressemble à aucun autre
  • Une bande-son de grande qualité
  • Un prix de 20€ pour une durée de vie de 8 à 10 heures
On n’a pas aimé :
  • L’émotion tant attendue est rarement au rendez-vous
  • La génération procédurale apporte peu
  • La partie technique est à la peine
« Liberté, j’écris ton nom »

Road 96 est un jeu qui ose au sein d’une industrie qui peine parfois à se renouveler, en particulier dans les thématiques abordées. Si l’on admet sans détour qu’il demeure loin d’être parfait, notamment dans sa partie procédurale et son aspect technique, le titre propose malgré tout une expérience originale qui sort des sentiers battus. On pense notamment à cette narration qui s’exprime à travers l’itération de rencontres avec les sept personnages clefs. Cette mécanique, qui place le joueur en position de quasi-spectateur des événements qui se produisent sous ses yeux, sert un jeu choral assez unique, aussi clivant soit-il.

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Road 96

Genre : Aventure/Réflexion

Editeur : Merge Games

Développeur : DigixArt

Date de sortie : 15/04/2022