Le titre de cet édito est peut-être trompeur, tout en étant exact, alors je vais immédiatement commencer par l’éclaircir : je ne vais pas parler ici de générations de machines, mais plutôt de générations de joueurs.
A l’origine de cette réflexion, une critique… Non, pas une critique… Plutôt un avis que j’ai rédigé dans la partie PS4 de notre forum. J’y exprime mon ressenti après 2 heures de jeu sur Uncharted 4, ressenti très mitigé. Pour le résumer très vite, car ce n’est pas le jeu en lui-même qui est le sujet de ce texte, je le trouve très beau, les cinématiques sont même splendides et remarquablement réalisées (dans le sens de mises en scène), et dans le même temps je trouve son gameplay très pauvre, guidé, au level design bien limité à l’exception de quelques séquences. Le résultat de tout ça est que j’ai vite préféré regarder jouer plutôt que de jouer moi-même. Depuis, j’ai reposé les mains sur le jeu, et mon avis n’a pas changé d’un iota. J’y vois un paradoxe étonnant qui est que c’est un titre très agréable à suivre, tout en étant vidéoludiquement parlant minimaliste. Je sens que vous allez rebondir sur Uncharted 4 le jeu, mais ce n’est pas du jeu en tant que tel dont je voudrais parler, mais de ce qu’il représente, en tant que symbole du jeu moderne actuel, et de ce qu’il met en évidence dans sa réception auprès des joueurs. Donc avant de vous défouler sur moi (enfin, si ça vous fait du bien, n’hésitez pas, hein !), comprenez bien qu’Uncharted n’est pas pour moi une cible, juste un représentant d’une tendance qu’on observe sur bien d’autres titres, et ce sur tous les supports existants. Le titre de Naughty dog se contente de pousser la logique très loin, ce qui en fait l’exemple parfait du propos que je voudrais développer.
La perception que j’ai rapidement évoquée, je ne suis pas seul à l’avoir, sinon ce serait juste une question de goûts, et ça ne mériterait pas qu’on s’y arrête. Au passage, que la diversité possible d’opinions ne se retrouve pas dans la presse est un sujet d’interrogation habituel, mais là encore ce n’est pas le sujet (merde, il faut que je les note ces thèmes, je vais me faire mon planning d’éditos pour l’année !). Et quand on en parle, on retrouve des caractéristiques communes chez les « grogneurs ». Ceux qui ne mordent pas à l’hameçon, ou tout du moins qui mordent moins, sont de « vieux » joueurs. Cela s’explique très simplement. Ces vieux joueurs ont vu évoluer le jeu vidéo depuis parfois le début, et considèrent que ce média s’est développé en suivant deux axes majeurs : inventer son propre langage pour raconter une histoire (qu’elle soit narrative ou bien que ce soit même simplement par la construction des évènements et des niveaux), et offrir au joueur ce qu’il ne trouve pas dans d’autres médias, c’est-à-dire l’interaction. L’évolution technique aidant, les possibilités se sont multipliées, permettant d’explorer de multiples pistes de représentation et de gameplay. Face à un jeu comme U4, et Quantum Break peut être mis dans le même panier, on ne se laisse pas impressionner par tout ce qui est cinématiques et scripts. Si on (oui, pour les grognons dont je fais partie, je vais dire « on », ça va être plus pratique) peut apprécier, on va ramener ça à un mode d’expression qui n’est pas celui du jeu vidéo, car passif. A l’inverse, on va se montrer très critique sur le gameplay en lui-même. La liberté d’action, l’impression de participer et même de provoquer l’action, la construction des niveaux permettant une approche qui nous est propre, et donc pas la même expérience que le voisin : voilà ce à quoi on va être sensible. Quand on fait face à un titre moderne qui utilise des ficelles de gameplay restrictives et un level design limité à un enchaînement de couloirs, ça nous saute à la gueule, et ça abaisse le jeu à un niveau ancré très loin dans le passé, à une époque où on utilisait ces artifices avant tout à cause de limitations techniques. Ainsi, sans rejeter l’utilisation des cinématiques et scripts, on va les jauger d’un œil très méfiant comme étant une facilité narrative empruntée aux médias audiovisuels classiques. Dans les derniers Tomb Raider, on va tolérer les parcours scriptés et les enchainements dérivés de QTE, mais à la seule condition qu’ils restent minoritaires dans le jeu. Ils sont alors utilisés comme éléments dont le but est d’imposé un certain rythme. Dès que ces éléments prennent le pas sur un gameplay plus libre, on va « sortir » du jeu pour tomber dans une dimension de spectateur. Paradoxalement, l’émergence de jeux de type « walking simulators », bien que limitant fortement l’importance de l’action du joueur, reste plus ancrée dans un langage vidéoludique véritable en misant sur une immersion utilisant ce dit langage : la construction de l’avancée, aussi automatisée qu’elle soit, se fait en laissant au joueur la possibilité de regarder ou pas. On est donc dans une construction induite, certes, mais pas imposée, ce qui fait une différence fondamentale avec une cinématique ou même une séquence de gameplay dont les avancées se font à coup de scripts qui imposent un point de vue et une caméra. Elle n’est alors plus la vision du joueur, même s’il a appuyé sur une touche au moment où on lui a dit de le faire, mais elle est la vision du développeur qui l’impose ainsi au forceps.
Bien entendu, ce que je développe là n’est pas forcément ce que pensent tous les joueurs ayant commencé à jouer plus ou moins à l’époque de la Megadrive, il y en a qui se foutent un peu de tout ça. De même, cette analyse peut être partagée par des joueurs, plus jeunes, mais qui ont acquis une culture vidéoludique ne commençant pas à la PS360.
Oui, Mais.
Il y a une autre perception, qui est tout aussi valable. Elle est majoritairement celle de joueurs plus jeunes, ou bien de joueurs occasionnels (merci de ne pas se sentir insulté par ce mot, je n’ai aucun mépris pour cela et trouve absurde l’opposition qu’on veut absolument créer entre les « gamers » et les autres), et également celle du grand public (là encore, merci de ne pas prendre cette dénomination mal, le grand public représente la majorité, et que ça plaise ou pas, c’est le grand public qui donne les tendances). Pour eux (par commodité je vais dire « eux », cette fois !), tout ce que je raconte au-dessus n’a pas la moindre importance, à partir du moment où on ressort du jeu avec l’impression d’avoir passé un bon moment. Pourquoi vouloir chercher à catégoriser ce qu’il y a sur l’écran ? Si le langage utilisé est celui du cinéma, et que ça fonctionne, et bien parfait, c’est ce qu’on demande au jeu : que cela fonctionne. Pour eux, la question de la profondeur du gameplay n’entre pas en ligne de compte car elle n’a tout simplement pas lieu d’être. La priorité est la recherche du résultat et du spectacle, et dire que ce spectacle est amoindri parce qu’il limite l’aspect interactif, c’est chercher la petite bête et se priver d’un plaisir simple et direct. Ça ne leur pose aucun problème que dans un jeu, les scènes les plus marquantes soient finalement des scènes non-jouées : c’est la sensation qui compte, pas les moyens utilisés pour arriver à cette sensation. Peu importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse : on parle bien d’un loisir, oui ou merde ? Ils sont impressionnés par des cinématiques, ou par des séquences scriptées, sans se demander si on parle ici de prouesse technique ou d’un visuel qui en met plein la rétine. Si cela en met plein la rétine, c’est bien le plus important, ça veut dire que c’est le jeu le plus abouti et puis c’est tout. Et c’est tout à fait vrai : les feintes ou artifices ne regardent que ceux qui cherchent les complications, c’est l’affaire du développeur, ça, pas celle du joueur qui est là pour en profiter. Ils ont forcément raison, puisqu’eux profitent à plein des jeux de ce type, et donc prennent du plaisir, là où les pisse-froids font des manières et se privent bêtement d’une expérience qui permet de déconnecter d’un monde réel bien terne. Qui plus est, ce focus sur le jeu guidé permet une narration que n’arrivent pas à atteindre les jeux qui n’exploitent pas ces techniques. N’est-ce pas aussi cela qu’on veut voir dans un jeu aujourd’hui ? Une histoire correctement racontée avec des personnages auxquels on peut s’identifier ? Une fois encore, peu importe les moyens, c’est le résultat qui prime.
Alors, qui a raison ?
Pour répondre d’une façon un peu brutale, je pourrais juste dire : tout le monde a raison. On est sur un média de loisir, c’est donc le ressenti qui est le plus important. Si on perçoit ces jeux comme limités et comme des films plus que comme des jeux, on n’y peut rien. Si on ne s’amuse pas vraiment, c’est comme ça et puis c’est tout. On a donc raison. De même, si on prend son pied avec ces jeux, c’est qu’ils atteignent leur objectif, et donc qu’ils sont bons. On a donc tout autant raison. Là où on se trompe, c’est quand on veut absolument chercher une opposition entre les ressentis, et qu’on arrive à des « discussions » ubuesques où la moindre critique opposée semble être prise comme une agression. Cela conduit à la négation d’éléments pourtant foutrement tangibles. A ce petit jeu, sur la toile, c’est le nombre qui importe, et c’est là qu’un jeu comme U4, en étant déclaré comme le nec plus ultra, est symbolique d’une étrangeté propre à notre petit monde. U4 est le porte-étendard de notre époque. C’est le jeu « in », le jeu à la mode, celui qui a capté ce que le grand public veut aujourd’hui. Ce n’est pas rien ! Naughty dog est très fort pour ça, et c’est un vrai talent. Cela fait d’U4 le jeu le plus dans l’air du temps, et son succès aura donc des conséquences sur une ribambelle de jeux, tout comme le succès de Gears of War à sa sortie a eu des conséquences sur plein de titres…à commencer par Uncharted. C’est un cycle normal, et de façon tout aussi normale, il est logique que cela corresponde aux goûts de la majorité, puisque c’est le but recherché. Est-ce faire injure à qui que ce soit de dire que ces jeux sont des successions de couloirs scriptés et de cinématiques non-jouées ? De façon rationnelle, qui peut dire le contraire ? Plutôt que de se braquer, ne peut-on pas juste le constater, et plutôt décider, en son âme et conscience, si on en a quelque chose à faire ? Ceux qui soulignent cet aspect ont raison, il suffit de jouer pour s’en rendre compte, mais cela ne veut en aucun cas dire que c’est une mauvaise ou une bonne chose. Ça ne l’est que si on y accorde de l’importance, et seulement en fonction de nos priorités. U4 symbolise la création artistique actuelle, ce qu’on retrouve aussi au cinéma : des œuvres dans lesquelles on se laisse porter. L’époque Avengers. Encore une fois, ce n’est ni bien, ni pas bien, c’est juste ce qui est dans l’air du temps. Il est absolument impossible de dire aujourd’hui qu’on a là quelque chose d’universel qui fera date, ça on s’en rend compte seulement après des années, quand en se retournant on voit si on aurait encore envie de lancer une partie. Le Grand Bleu était le produit d’une époque, qui a envie de le revoir aujourd’hui ? Top Gun aussi, tout comme les Dents de la Mer ou Halloween. Notre petit monde, bizarrement, semble être incapable de prendre de la distance avec ces gros jeux. C’est tout blanc ou tout noir. Alors que ce média a maintenant une histoire et est censé être mature, la presse, tout comme les joueurs, n’arrivent toujours pas à concevoir qu’on peut avoir des ressentis différents sur un même produit, sans pour autant que l’un ou l’autre ait raison.
Bon, je sais, je fais très long sur cet édito, qui est, à force, presque un essai, mais il me reste encore une chose à dire.
Quand on fait partie des « on » dont je parle au début, cela veut presque obligatoirement dire une chose : c’est qu’on ne partage pas les valeurs de notre époque actuelle. « On » est un dinosaure qui s’attache à quelque chose qui est, en tout cas pour l’instant, révolu. « On » n’y est pour rien, c’est son ressenti, il ne peut pas faire semblant. Du coup, « on » se retrouve en opposition avec la majorité. Soit il se tait pour qu’on le laisse tranquille, soit il doit marcher sur des œufs tant avoir un ressenti différent semble être un problème. Mais « on » doit faire attention à ne pas donner de leçons : lui aussi a été à un moment donné sensible à ce qui était dans l’air du temps, et il doit bien garder en tête lui aussi que ce n’est pas parce qu’il cherche la petite bête qu’il a forcément raison. Ni tort. Vous allez peut-être trouver cette conclusion un peu gnangnan, mais si « eux » écoutaient ce que disent « on » et profitaient de leur expérience et du fait qu’ils cherchent au-delà de la première impression pour faire évoluer l’ensemble, et si « on » écoutait « eux » pour ne pas trop se prendre la tête et profiter plus de ce qu’on a, tout le monde en ressortirait gagnant d’une façon ou d’une autre.
Alors, vous êtes un « on » ou un « eux » ?