Peu de temps après sa sortie, la Nintendo 64 reste assimilée à une console pour “enfants”. Elle souffre de la comparaison directe avec la première console de Sony dont le catalogue est bien plus fourni en jeux “matures”, raccourci maladroit pour se référer à des titres principalement gores. C’est donc avec une certaine curiosité que les fans de la firme de Kyoto voient débarquer Shadow Man en mars 1999, titre d’action/aventure à la troisième personne, prenant place dans un univers particulièrement malsain. Développé par le studio américain Acclaim Entertainment, le titre reçoit un bel accueil critique et commercial. Depuis ce 13 janvier, Nightdive Studios, spécialiste de la restauration de pépites de la fin du siècle dernier (Harvester, System Shock, Quake et Doom 64), nous propose de replonger dans les ténèbres : pour le meilleur mais aussi pour le pire.
- L’aventure débute dans le bayou, sous un soleil de plomb.
La Mort n’est que le commencement
Michael LeRoi est un homme dévasté depuis la mort de son petit frère, Luke. Alors qu’il passe la nuit avec Nettie dans son appartement de la Nouvelle-Orléans, cette prêtresse vaudou explique à “Mike” qu’elle vient d’avoir une funeste vision : les cinq Annonciateurs de l’Apocalypse, tous tueurs en série, sont sur Terre et lui seul peut les empêcher de préparer l’arrivée du Mal absolu. Car notre héros n’est pas n’importe qui : détenteur du Masque des Ombres, qu’il arbore sur son torse, il est le messager entre le monde des vivants et celui des morts.
Difficile de résumer en quelques lignes l’histoire de Shadow Man pour laquelle Acclaim Entertainment s’est librement inspiré du comics “Shadowman” datant de 1992 (tout comme ce fut le cas avec Turok, dont la première apparition remonte à 1954).
Encore aujourd’hui, la première chose qui frappe au sein de cette aventure, c’est son univers. Près d’un quart de siècle après sa sortie, Shadow Man demeure l’une des seules propositions vidéoludiques à mettre en avant la culture vaudou. Dommage que cette dernière soit souvent reléguée au second plan par l’omniprésence d’un sujet plus manichéen : le combat contre le Mal.
- L’humour est également macabre.
L’autre force du titre réside dans la profonde noirceur de son scénario : crimes, souffrance, deuil, folie, etc… Les plus jeunes joueurs qui ont pu se procurer le jeu à sa sortie, dont nous faisions partie, ont pu être secoués. Force est de constater que malgré le poids des années, le tout demeure particulièrement glauque et sans espoir.
On faisait comment avant ?
Shadow Man est un “metroidvania” en 3D au sein duquel notre objectif principal est d’éliminer les cinq tueurs ayant pactisé avec le Mal. Pour ce faire, il nous faut parcourir différents niveaux afin de récupérer les âmes noires et autres objets qui vont nous permettre de nous engouffrer toujours plus loin dans ce sombre univers. Chaque niveau est accessible rapidement via un ours en peluche, souvenir de notre défunt frère. Et cet outil ne sera pas de trop tant les allers-retours deviennent fréquents entre le monde des vivants et celui des morts.
Comme cela avait déjà pu nous surprendre à l’époque, le jeu est extrêmement avare en informations et il arrive souvent de se demander si nous allons dans la bonne direction. Ajoutons à cela un level design souvent torturé, voire labyrinthique : la difficulté principale du titre réside dans son incapacité à nous aiguiller. À de nombreuses reprises, il nous faut rebrousser chemin, parfois après plus d’une heure de jeu, en réalisant que l’obstacle qui nous fait face est infranchissable pour le moment. Soit. Mais dès lors, où devons-nous aller afin de trouver l’objet qui nous manque ? À cette question qui revient trop souvent, le jeu nous répond sans sourciller : débrouillez-vous !
- Ce corps en putréfaction est un portail vers le monde des vivants….
Et si Shadow Man n’est pas le premier jeu à user de cet artifice pour créer un soulagement une fois la difficulté surmontée, nous continuons de nous demander pourquoi ce dernier ne propose aucune carte ou indication ! Après avoir tourné en rond un bon moment sans trouver la solution, il va sans dire que le plaisir de la recherche peut rapidement laisser place à une vilaine frustration. Avouons qu’il nous a fallu, à de nombreuses reprises, consulter une solution afin de comprendre où et comment continuer notre périple (ce qui était loin d’être possible pour tous à la fin des années 90). De quoi permettre au jeu de proposer une durée de vie de plus de 30 heures, sans viser le 100%.
En plus de regorger de monstres tous plus répugnants les uns des autres qu’il faut éliminer, chaque environnement propose son lot de phases de plateforme. Venons-en aux faits : sur ces deux derniers points, Shadow Man a terriblement mal vieilli !
- … au sein duquel le Mal semble déjà opérer !
Malgré l’originalité des armes dont nous disposons et la possibilité d’en tenir une différente dans chaque main, les combats sont d’une lourdeur et d’une fadeur difficilement appréciables. Cela est principalement dû à la rigidité de Mike. Dès lors, il est compliqué de prendre plaisir à dézinguer du monstre lorsqu’il nous faut cinq tirs pour en venir à bout, si tant est que chacun de nos coups parvienne à les toucher. Et ce malgré la présence d’un système de lock hasardeux. Les créatures évitent bien souvent des projectiles trop lents pour les atteindre. Un problème particulièrement dur à accepter lorsque certaines munitions sont limitées.
Ces phases d’action oubliables sont saupoudrées de plateforme. Mais avant de se jeter sur une corniche, il ne faut pas omettre de déséquiper nos armes, sous peine de voir Mike faire une chute fatale : détail difficilement acceptable en 2022. Et bien que le tout soit ouvertement inspiré du premier Tomb Raider (1996), il est pénible de se réhabituer à contrôler un personnage aussi rigide. Heureusement pour nous autres joueuses et joueurs, le titre offre la possibilité de sauvegarder à tout moment.
Cette lourdeur dans le gameplay est d’autant plus difficile à excuser dans cette version remastérisée que l’équipe de Nightdive Studios nous propose un nombre d’ajouts non négligeable. On peut notamment citer une roue des armes, de nouveaux niveaux, armes et ennemis. De quoi s’interroger sur le sens des priorités des développeurs, quand bien même on peut comprendre leur souhait de ne pas toucher à l’essence même du jeu original.
Un univers comme nul autre pareil
Vous l’aurez sûrement déjà compris, le gros du travail effectué est principalement concentré sur le plan technique. Nous profitons donc de graphismes haute définition en 4K et 60 images par seconde avec des éclairages dynamiques. Soit le minimum à attendre d’un tel projet. De quoi classer le jeu au rayon, déjà bien chargé, des remastérisations “bien mais pas top”.
- Un couloir à l’image du jeu : sombre et sanglant.
Néanmoins, et comme nous le laissions entendre en début de test, il convient de souligner la direction artistique du jeu qui, à l’inverse du gameplay, impressionne encore aujourd’hui. Car si les graphismes rappellent la date à laquelle est sorti le jeu (et ce malgré le petit coup de polish), l’identité visuelle et sonore continue d’entretenir un certain pouvoir de fascination. Il faut entendre les lamentations des âmes en peine associées aux cris de cochons de nos ennemis qui approchent, alors qu’une cascade de sang nous fait face sous un ciel menaçant…
La qualité des musiques et des voix françaises originales participe à cette réussite. On retrouve ainsi au casting Thierry Desroses (voix de Samuel L. Jackson), Marie-Christine Darah (voix de Whoopi Goldberg et des Argoniennes et Khajiits dans The Elder Scrolls IV : Oblivion) et Patrick Préjean (Tigrou dans Kingdom Hearts 2 ou le Haut Prophète de la Pitié dans Halo 2).
Test réalisé sur Xbox Series X (non optimisé)