J’avoue être un féru de jeu de rôle depuis tout petit. Bébé, je mâchouillais déjà les disquettes 5”¼ de Wizardry sur Apple II, autant dire que j’en ai mangé du jeu de rôle depuis lors ! Tout y est passé, du RPG japonais bien niaiseux à son grand frère épique et mémorable, la couenne dure et austère mais particulièrement riche des RPG PC, les bugs innombrables de leurs adaptations consoles, et me perdre dans les recoins de leurs mondes. Mais justement, dans le royaume des univers abordés dans les jeux de rôle, l’heroic fantasy reste roi. Rares sont ceux qui en présentent des totalement atypiques. Kingdom Come : Deliverance a cette aspiration, une volonté toute simple d’aller puiser dans l’histoire son décor et la promesse de nous faire vivre un voyage inoubliable à grands coups de réalisme moyenâgeux. Et dans mon for intérieur, ce postulat de base éveille en moi de l’envie et la naissance d’un fantasme ludique jamais vu. Une attente peut-être bien trop forte pour les épaules de Kingdom Come : Deliverance et de sa petite équipe de développement…
Aucune concession
Tout l’art d’un jeu de rôle réside dans sa capacité de happer le joueur dès ses premiers instants. Lui faire quitter son fauteuil, sa manette et le transposer corps et âme dans l’univers qu’il propose. Kingdom Come : Deliverance nous avale goulument, nous gobe totalement dès ses premières minutes. On tombe littéralement sous le charme de ce monde médiéval tout droit issu de la Bohême au début du XVe siècle. Un simple travelling de quelques minutes, le survol d’un château fort, un passage dans les sous-bois d’une forêt où paissent des cerfs, les paysages de Kingdom Come se dévoilent et l’immersion se fait dès les premiers instants.
Dès notre arrivée à Skalitz, petit bourg au pied du château seigneurial où vit Henry, le fils du forgeron local, jeune sot qui jouit d’alcool, de virées avec ses amis et de femmes. Un adolescent qui va être rattrapé par l’Histoire. L’art de Kingdom Come : Deliverance est de prendre son temps pour poser son univers, ses personnages, son contexte historique et son histoire. Le début du jeu est lent, posé, on passe notre journée à découvrir les rues et les habitants de Skalitz, les parents et les amis d’Henry, en gros à s’attacher à eux et nous préparer au drame que va subir Henry lors de l’attaque de son village par les troupes de Sigismund. Le village va être rasé, les parents d’Henry massacrés sous ses yeux et il n’aura comme seule alternative que de s’enfuir trouver refuge au château voisin. Kingdom Come : Deliverance va nous faire vivre la quête de vengeance d’Henry qui de simple palefrenier va devenir chevalier et participer, à son échelle, à la grande histoire qui a bouleversé l’Europe centrale au XVe siècle.
Kingdom Come : Deliverance nous emporte telle une déferlante dans ses premières heures de jeu mais c’est aussi durant celles-ci que l’on commence la séance de gymnastique qu’il va nous imposer durant toute son aventure. Un grand écart improbable entre un univers impressionnant de détails qui saisit le joueur et sa multitude de bugs et de décisions de gameplay pas vraiment heureuses qui le repoussent violemment.
Nos premières heures dans Kingdom Come : Deliverance s’enchaînent entre amour et dégoût. Un amour irraisonné pour l’ambiance médiévale qui se dégage, pour le doublage français de bonne qualité, de son écriture sensible et juste et par la grande liberté laissée au joueur pour accomplir ses objectifs. Il est en effet possible pour chaque quête du jeu de la mener à bien de différentes façons via des chemins alternatifs, des choix de dialogues particuliers ou des pnj qui pourront nous apporter de l’aide. Kingdom Come : Deliverance est un jeu fait par un petit groupe de passionnés et cela se ressent dans chaque détail et on peste d’autant plus lorsqu’on tombe sur les nombreux bugs qui émaillent le jeu encore aujourd’hui malgré un gigantesque patch au lancement et un second arrivé récemment. Entre les soucis de traduction (absence de sous-titres ou de voix françaises), les soucis d’ergonomie (les déplacements à cheval sont horribles, à bloquer devant des buissons ou empêtré dans un petit fossé), les bugs d’IA (les paysans marchant sur une table, c’est moyen) sans parler des bugs liés à la sauvegarde du jeu. Le jeu semble prendre plaisir à détruire, comme un enfant, le beau château qu’il avait pris du temps à construire. Mais tout cela n’est rien comparé aux choix de gameplay hasardeux pris par l’équipe de développement…
Le réalisme en mode je t’aime, moi non plus
Kingdom Come : Deliverance a volontairement choisi la carte du réalisme, tant du point de vue historique que du point de vue du gameplay. Henry a régulièrement besoin de dormir, de manger, sa saleté et sa façon de s’habiller ont un impact direct sur ses relations sociales. Les femmes peuvent apprécier l’odeur virile d’un Henry craspouille (sic) mais cette dernière, si elle est trop forte, lui rend toute approche discrète impossible. Être bien habillé facilite la discussion avec les pnj issus de la noblesse, etc, etc. Les exemples sont légion et certaines capacités à débloquer permettent de tirer plus ou moins bénéfice de la fatigue, de sa récupération, de sa saleté, mais toujours avec une contrepartie. Les relations sociales sont particulièrement bien intégrées et rendent le jeu d’autant plus riche et passionnant, on ne peut dire la même chose sur d’autres éléments de gameplay dont… la sauvegarde.
J’y viens, cet aspect là m’a particulièrement pénalisé lors de l’élaboration du test vu que mon temps de jeu est plutôt aléatoire et qu’il m’arrive souvent de devoir arrêter de jouer brusquement. Kingdom Come : Deliverance dans sa recherche de réalisme a décidé de supprimer le côté de la sauvegarde facile avant chaque combat ou devant un coffre fermé à forcer. Soit. Le jeu sauvegarde automatiquement lors de checkpoints liés à notre progression dans l’histoire principale, sinon il faut dormir dans un lit nous appartenant ou boire du schnaps du sauveur, boisson fortement alcoolisée qui nous permet de sauvegarder où l’on veut mais nous laisse complètement saoul. Ce qui n’est pas évident si on veut engager un combat ou crocheter des serrures juste après. De plus ce schnaps est rare et cher, et l’on ne peut en produire via l’alchimie que bien plus tard dans le jeu. Si on ajoute à cela l’impossibilité de pouvoir quitter le jeu en sauvegardant on obtient là une magnifique ode au : “Oh mince je suis mort/bloqué/en prison/je me suis loupé un vol à la tire suite à un bug je vais devoir me retaper une heure de jeu ou plus.” Même si on aime beaucoup le jeu, ce système a la capacité de mettre à mal cet amour. Heureusement, un patch devrait arriver et nous permettre de sauvegarder en quittant le jeu.
La recherche de réalisme des développeurs de Kingdom Come : Deliverance semble leur avoir fait perdre de vue que leur jeu doit avant tout être… un jeu. Cela est criant en ce qui concerne les combats qui se veulent être au plus près des sensations données par une joute de taille et d’estoc à l’épée, ou la violence d’une masse d’arme ou la portée d’une hallebarde. On se doit d’anticiper les réactions, parer et contrer au bon moment, tout en gardant en tête que certaines armes seront totalement inoffensives suivant l’armure que porte notre adversaire. La moindre blessure reçue risque d’être lourdement handicapante par la suite, il est vital de ne pas foncer tête baissée. La plupart du temps les combats se transforment en d’interminables ballets ou l’on tourne autour de notre adversaire afin de profiter de la moindre faille. Porter un coup ou parer revient à orienter le stick dans une direction, ce qui s’avère bien difficile lorsque l’on se trouve en face de groupes. Heureusement, on peut toujours régler cette affaire à l’arc ou à l’arbalète (sans viseur, tout au jugé) ou essayer de surprendre nos ennemis dans le dos. Sauf que voilà, l’infiltration, tout comme le vol à la tire et le crochetage, ne semble pas avoir été pensé pour la manette, si bien qu’il est très difficile de réussir une approche furtive dans le jeu ou de se transformer en voleur pour l’occasion. Des problèmes qui transforment en véritable calvaire certaines parties du jeu comme celle du monastère pour ne citer qu’elle. Un patch devrait apporter des modifications, et, à vrai dire, on l’attend de pied ferme, comme tous les autres afin de pouvoir enfin apprécier Kingdom Come : Deliverance comme il se doit et succomber sans retenue à son charme indéniable et à ses nombreuses qualités. Ce qui n’est pas évident à faire en l’état.